Le rendez-vous du mois

Roland Desbordes

Tchernobyl, 26 avril 1986, c’est l’accident nucléaire de trop qui déclenche la création de la Criirad. Qui en sont les fondateurs ?

La Criirad est née de la rencontre d’un petit groupe de citoyens de la Drôme et de l’Ardèche en mai 1986. Comme tous, ils voulaient savoir si on pouvait consommer les produits du jardin ou de la ferme d’à côté. Devant l’impossibilité d’avoir des informations, même localement auprès des responsables des centrales nucléaires ou de laboratoires officiels, ils ont décidé de « monter un laboratoire ». Et devant les moyens à mettre en œuvre, il est devenu évident qu’il fallait créer une association. Notre laboratoire est agréé pour effectuer des contrôles dans l’environnement.

La Criirad se veut indépendante. Cela veut-il dire que vous vous défiez des instances officielles, et notamment de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN ? Et comment vous financez-vous ?

Le premier i de Criirad, c’est l’information ; et le second, l’indépendance. Celle-ci est fondamentale dans un domaine aussi sensible que la radioactivité. C’est grâce à nos adhérents que nous pouvons la garantir financièrement en assurant la moitié des recettes. L’autre moitié provient des analyses et expertises réalisées par le laboratoire. L’indépendance est aussi scientifique, la Criirad s’opposant souvent à l’expert officiel, l’IRSN, dont elle a pu démontrer, sur divers dossiers, qu’il n’était pas à la hauteur de sa mission. Il est, selon son statut, l’expert officiel de l’Etat mais aussi celui des exploitants du nucléaire et celui de l’Association nationale des commissions locales d’information, auprès des installations nucléaires. Une situation de monopole qui nous ramène quasiment à 30 ans en arrière.

Le laboratoire de la Criirad a effectué de nombreuses mesures après les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Pour Tchernobyl, le travail de la Criirad a surtout consisté à dénoncer les mensonges des autorités, à faire corriger les cartes officielles complètement fausses, pour dénoncer la gestion calamiteuse conduite par les autorités biélorusses auprès des populations vivant sur des zones contaminées mais non évacuées. Malgré des actions en justice, la Criirad n’a pas réussi à faire condamner les autorités françaises pour ces faits graves.

Pour Fukushima, les Japonais ont découvert l’existence de la Criirad et ont perçu toute l’importance de son action et de ses outils. Ils ont fait appel à nos compétences pour acquérir du matériel et se former. Hélas, le scénario tant redouté s’est tout de même réalisé : absence d’information officielle fiable, défaut de protection des populations, incitation à revenir habiter en zone contaminée. Une leçon à tirer : une catastrophe nucléaire est ingérable.

La Criirad s’est aussi rendue sur de nombreux sites uranifères abandonnés en France pour évaluer la présence de résidus radioactifs. Vos mesures révèlent des niveaux de radioactivité supérieurs aux niveaux officiels. Erreurs ou mensonges d’Etat ?

L’exploitation des mines d’uranium est une activité très polluante pour l’environnement et à fort risque pour les travailleurs. En France, plus de 200 mines, aujourd’hui fermées, ont été exploitées sur une vingtaine de sites. Ces activités ont produit des déchets (« stériles » et résidus) en très grande quantité avec plus de 50 millions de tonnes de résidus, abandonnés sur des sites totalement inadaptés et qui engendrent des pollutions de rivières et de lacs. C’est un combat de longue haleine afin d’obtenir des réparations bien limitées au regard de situations dramatiques dans lesquelles l’Etat est souvent complice pas son inaction. Ce n’est que lorsque les citoyens bougent et que les médias s’en emparent (cf. le documentaire « La France contaminée » diffusée en 2009) que les autorités font un peu pression sur le pollueur.

Elections européennes du mois de mai, Brexit : la donne va changer sur notre vieux continent. Pensez-vous que les pulsions populistes vont bousculer le paysage nucléaire en Europe, à travers notamment le traité Euratom instituant l’organisme public européen en charge de cette question ?

La campagne pour les élections européennes est en route. On y parle beaucoup du Brexit, et l’incertitude est grande. Toutefois, les médias français semblent ignorer le Brexatom, qui pourtant fait l’objet d’un vrai débat au Royaume-Uni. La sortie de ce pays de l’Europe implique sa sortie d’Euratom. Ce traité signé en 1957 a pour mission quasi unique de promouvoir l’énergie nucléaire en Europe. Or l’Angleterre est le seul pays européen ayant de grands projets nucléaires et EDF y a investi beaucoup d’argent. Elle ne peut les réaliser que grâce à Euratom. C’est pourquoi la Criirad et l’association Rech (Réaction en chaîne humaine) ont lancé une campagne demandant l’abrogation de ce traité obsolète et que tout ce qui concerne le nucléaire rentre dans le fonctionnement normal de l’Europe et non en dehors des instances démocratiques.

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Jean-Pierre Camo

Directeur de la publication et romancier

La saga du vinland
De Jean-Pierre Camo, éd. Alphée, 472 p., 2008.

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