Christophe Noisette est rédacteur en chef et journaliste pour Inf’OGM depuis 1999, une association qui publie de l’information indépendante et critique sur les OGM, les biotechnologies et les semences. 

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Christophe Noisette

En France, la culture des OGM est interdite depuis 2008. Or nous importons des États-Unis environ 4 millions de tonnes de soja et de maïs OGM chaque année pour nourrir le bétail. Pourquoi une telle dichotomie ? Comment pourrait-on faire autrement ?

En effet, le seul OGM transgénique autorisé à la culture dans l’Union européenne, à savoir le maïs Bt MON810, est interdit en France… Il est cultivé uniquement en Espagne et au Portugal et ces surfaces diminuent régulièrement depuis plusieurs années. Cependant, la France cultive de façon illégale des OGM non transgéniques, des OGM issus de la mutagenèse, comme les colza et tournesol Clearfield. Ces variétés mutées, rendues tolérantes à un herbicide, devraient faire l’objet d’une demande d’autorisation au niveau européen et d’un étiquetage.

Quant au soja transgénique importé, il sert à nourrir le bétail hors-sol français et européen. Les élevages industriels utilisent massivement du soja car cette légumineuse est riche en protéines végétales, en fer, magnésium… et elle est disponible sur le marché en grandes quantités et à bas prix. Mais le soja provient principalement du Brésil où sa culture est problématique d’un point de vue social et environnemental.

L’étiquetage, même en bio, autorise un seuil de 0,9 % de présence accidentelle d’OGM. Aujourd’hui, les OGM sont-ils impossibles à éliminer de nos assiettes ?

Le seuil de 0,9 % ne veut pas dire qu’un producteur d’aliment peut utiliser un peu moins de 0,9 % d’OGM et vendre sa production comme non OGM… Le site du ministère de l’Économie français précise en effet que l’opérateur [doit être] en mesure de justifier qu’il s’agit d’une présence fortuite (accidentelle et non prévisible) ou techniquement inévitable (pollinisation croisée au champ par exemple) en produisant par exemple le cahier des charges avec les fournisseurs dans lequel il est précisé qu’un approvisionnement conventionnel est souhaité, analyses réalisées par le fournisseur ou l’opérateur, une politique générale de non-utilisation d’OGM, des attestations des fournisseurs…

En bio, ce seuil a été accepté pour éviter que trop de lots soit déclassés du fait des contaminations qui existent. En effet, sur les grandes filières OGM (soja, colza, maïs et coton), la coexistence est impossible entre filière conventionnelle (et bio) et filière OGM. Donc le législateur a permis cette marge de manœuvre.

La seule façon de garantir une absence totale d’OGM dans un produit est soit d’interdire tout OGM au niveau mondial, soit d’utiliser des ingrédients qui n’ont pas été génétiquement modifiés. Ainsi on peut remplacer le soja par d’autres protéines végétales ou utiliser du lupin, du trèfle… Rappelons aussi que les États-Unis cultivent massivement de la luzerne transgénique.

Les OGM font partie du débat public depuis de nombreuses années. Selon leurs défenseurs, ils sont indispensables pour répondre aux besoins d’une population en forte croissance. Un argument contestable ?

Oui, c’est un argument totalement circulaire et dont le fondement est faussé. Les partisans des OGM affirment sans pouvoir le démontrer que les OGM augmentent les rendements, et que donc les OGM sont nécessaires pour nourrir une planète avec des terres agricoles qui se raréfient (pour des raisons diverses dont l’urbanisation galopante). Au-delà de cette notion de rendement, la question de la faim dans le monde n’est pas une question agronomique. C’est une question politique.

De nombreuses associations (dont Inf’OGM) et syndicats français ont partagé, en février 2021, une pétition intitulée « Arrêtons la deuxième vague des OGM ». Quelle est cette deuxième vague ?

Pour la plupart des citoyens, les OGM sont des plantes transgéniques. Mais la législation européenne et internationale (Protocole de Cartagena) ne définit pas un OGM de façon aussi restrictive. La directive européenne 2001/18 dit qu’un OGM est « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ».

Donc la directive européenne reconnaît qu’il y a d’autres types d’OGM. Elle a d’ailleurs pris soin d’exempter certaines techniques des obligations de la directive, comme la mutagenèse.

Cette exemption, instituée donc en 2001 (elle était déjà présente dans le texte précédent que cette directive a aboli), était fondée sur le considérant 17 qui stipule que la « directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».

Ainsi certaines organisations ont fait préciser tant par la Cour de Justice de l’UE que par le Conseil d’État que les nouvelles mutagenèses, principalement développées après 2018, ne pouvait bénéficier de cette exemption… Et que donc les nouvelles mutagenèses donnaient des OGM à réglementer comme les plantes transgéniques. Ce sont ces OGM là, modifiés par Crispr, Talen et autres méganucléases qui sont visés par cette deuxième vague.

Actuellement, un lobby intense existe pour que ces nouveaux OGM, non transgéniques, soient exclus des obligations européennes et donc soient dérégulés. La bataille est intense…