Le rendez-vous du mois

Michèle Rivasi

Il y a déjà vingt ans que le petit village de Bure, dans la Meuse, a été choisi pour stocker les déchets radioactifs de nos centrales nucléaires en couche géologique profonde. Quels sont exactement ces déchets, en quelles quantités et d’où proviennent-ils ?

Cigeo, le projet de « centre industriel de stockage géologique » porté par l’agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra), vise à enterrer 85 000 m³ de déchets radioactifs à plus de 500 mètres de profondeur, dans une couche du sous-sol géologique faite d’argile. L’idée avec ce site est d’enfouir les déchets radioactifs « à vie longue » et « de haute activité », c’est-à-dire ceux principalement issus du retraitement des barres d’uranium usagées des centrales nucléaires et gardées jusqu’ici dans les piscines du site de la Hague, dans la Manche. Les piscines seront saturées dans une poignée d’années et il va falloir mettre tous ces déchets quelque part. Ces déchets dits « ultimes », sous la responsabilité en France de l’Andra, rayonnent durant des dizaines et des centaines de milliers d’années. Une fois enfouis, les promoteurs du projet affirment que rien ne peut leur arriver, ce qui est totalement faux.

Le projet Cigeo, qui est né en 1998 par un décret signé sous Lionel Jospin autorisant la création d’un « laboratoire », n’a obtenu à ce jour aucune déclaration d’utilité publique, ni aucun décret d’autorisation de création. Nous sommes dans une zone de non-droit, privilégiant une politique du « fait accompli ». Je combats de toutes mes forces cette impunité du lobby nucléaire et ses visions court-termistes aux conséquences potentiellement désastreuses alors que d’autres solutions ont été écartées.

Malgré les propos rassurants de l’Andra, à quels types d’événements susceptibles de libérer la radioactivité des déchets le site de Bure pourrait-il être exposé dans les siècles ou millénaires à venir ?

Le premier risque lié à la concentration de ces déchets hautement dangereux, c’est celui d’un accident plus ou moins grave avec les substances radioactives. La fabrication et l’accumulation de l’hydrogène produit par les rayonnements de ces déchets très chauds peuvent entraîner une explosion ou un incendie comme celui connu en février 2014 par le WIPP, le centre de stockage situé aux Etats-Unis, ouvert depuis 1999 dans les terres du Nouveau-Mexique. Du fait des fumées toxiques et des conditions confinées et particulièrement difficiles d’accès, les causes du feu sont longtemps restées inconnues et les galeries de ce site pilote, cogéré par Areva, inaccessibles jusqu’en janvier 2017.

L’autre risque est géologique. Le stockage profond est présenté comme stable mais, à très long terme, sur des dizaines ou centaines de milliers d’années, qui peut le garantir en matière de risque sismique ou d’infiltrations ? L’argile par exemple, dans le temps long, doit être considérée non plus comme un solide mais comme un fluide pouvant glisser, se déplacer. Des études universitaires réalisées sur plusieurs sites « naturels » ont également montré des réactions bactériennes de corrosion sur le métal, en particulier sur le fer. Ces bactéries « extrémophiles », actives dans ces conditions de pression, de chaleur et de radioactivité similaires, montrent que les conditions ne sont pas inertes et évoluent dans le temps.

Le troisième risque, c’est le facteur humain. Là aussi, les études sociétales faites en France et aux Etats-Unis montrent bien les limites de la mémoire humaine, de la rupture de la transmission et de l’oubli au fil des générations. La transmission orale serait le meilleur moyen de colporter l’information sur plus d’un millénaire, au-delà on ne sait pas comment faire. A plus court terme, il y a bien sûr les inconnues du risque militaire ou terroriste.

Vous avez déjà visité plusieurs sites de stockage à l’étranger. Quelles leçons en tirez-vous ? La France fera-t-elle mieux ?

L’expérience montre qu’aucun site de stockage profond n’est vraiment sûr. Un projet d’enfouissement similaire à celui de Bure et du WIPP a été rejeté par la justice en Suède, au titre que l’absence de fuites radioactives n’était pas garantie. La mine de sel d’Asse, utilisée entre 1965 et 1978 en Allemagne pour entreposer des déchets radioactifs entre 750 m et 500 m de fond, est maintenant progressivement inondée. Le site de Hanford, autre « poubelle nucléaire », que j’ai visité aux Etats-Unis, a connu des scandales à répétition : contamination au plutonium des riverains en 2013, fuite de six réservoirs souterrains hautement radioactifs en 2013, fuite « catastrophique » d’une cuve en 2016, effondrement d’un tunnel rempli de déchets en 2017… Plutôt qu’un modèle « irréversible », avec les risques de contamination des nappes phréatiques et des riverains qu’il suppose, privilégions plutôt un stockage en surface ou en subsurface, à 25 ou 50 mètres de profondeur, moins coûteux et bien plus facile d’accès !