Le rendez-vous du mois
Dominique Guyaux
Vous avez développé le concept d’alimentation sensorielle. Une façon de s’alimenter reposant sur notre instinct ?
C’est exact, à ceci près que le terme instinct est bien trop flou pour parler des systèmes sensoriels périphériques qui sont impliqués dans cette approche alimentaire (olfaction, gustation et digestion). L’alimentation sensorielle exploite les capacités exceptionnelles de ces systèmes que les scientifiques eux-mêmes décrivent comme telles, sans bien comprendre à quoi elles peuvent servir. Et pour cause, ces capacités sont issues de millions d’années de coévolution entre nos ancêtres et leurs ressources alimentaires qui n’étaient pas transformées. Or il s’avère que face à des ressources alimentaires transformées, ces capacités sont littéralement inactivées. Du coup, dans une société dominée par le paradigme culinaire où tout le monde mange cuit, tout le monde ignore la puissance sensorielle qui sommeille en chaque être humain. Cette sagesse sensorielle est pourtant profondément inscrite dans notre patrimoine génétique et il suffit de lui offrir un cadre adapté pour qu’elle montre ses muscles.
La maîtrise de l’approche sensorielle de l’alimentation est un atout formidable pour réussir une transition alimentaire durable. Pas une vérité en soi, juste un outil fondamental pour se frayer un chemin dans un monde dominé par le paradigme culinaire. Nous ne sommes pas qu’un ventre, nous sommes aussi une tête, une histoire imbriquée à la dimension culinaire des sociétés dans lesquelles nous nous sommes tous façonnés.
Qu’est-ce qui vous a amené à changer votre alimentation et votre mode de vie ?
Je pourrais vous répondre : une banale sclérose en plaques survenue à l’orée de ma trentaine. Mais en vérité, j’avais trop de rêves dans la tête, et cette chipie de sclérose était bien partie pour n’en faire qu’une bouchée. Alors, j’ai foncé tête baissée pour en vivre le plus possible et j’ai largué les amarres avant qu’il ne soit trop tard.
Prendre sa santé en main, c’est ce que vous proposez dans votre dernier livre, Du cuit au cru.
Oui, et l’expression n’a jamais été si pertinente, car si je vous permets de retrouver les clés de votre intimité sensorielle, vous n’aurez plus à chercher votre propre vérité à l’extérieur de vous-même, parmi une foule de vérités contradictoires. Prendre réellement sa santé en main, c’est donner la parole à cette sagesse sensorielle. Ce n’est pas une recette, je n’ai rien à vendre et je ne sais absolument pas ce que votre sage intérieur vous dira de faire. Mais je peux vous aider à en retrouver l’usage.
Manger cru à au moins 70 %, comme le préconisent certains préceptes de santé naturelle, a-t-il aussi un impact sur la santé mentale ?
Bien évidemment, et votre question est très pertinente. Tout d’abord le pourcentage d’aliments consommés crus, 70 %, 40 % ou 90 %, c’est toujours en remplacement d’aliments transformés dont les méfaits sur la santé sont bien documentés scientifiquement. Donc, plus ce pourcentage sera élevé et mieux ce sera, pour votre santé en général. Il faut ensuite parler de la façon de manger cru, car certaines ont un impact très positif sur la santé, d’autres un impact mitigé, et il en est aussi qui sont carrément dangereuses à plus ou moins long terme. D’où l’intérêt de connaître leurs caractéristiques respectives pour savoir les utiliser à bon escient en fonction des circonstances.
Le deuxième cerveau, c’est le nom donné à notre biotope intestinal (200 millions de neurones quand même), est étroitement connecté au premier cerveau, et l’état de l’un affecte fortement le fonctionnement de l’autre qui, en retour, lui renvoie des messages perturbés. Le cercle est vicieux et toutes les fonctions cérébrales en pâtissent. La dépression, le stress, la fluidité intellectuelle et le comportement sont directement influencés par l’alimentation.
Logiquement, le microbiote sera profondément affecté par une alimentation ultra-transformée (type fast-food), beaucoup moins par une alimentation traditionnellement transformée et considérablement moins avec une alimentation peu ou pas transformée.
Nous sommes encore en hiver : manger cru lorsqu’il fait froid, n’est-ce pas un sacerdoce ?
Oui et non. Oui parce que la thermogenèse, cette fonction qui permet de réguler la température du corps, a du mal à faire son travail correctement lorsqu’un organisme est nourri avec des aliments transformés. C’est pourquoi, en début de transition alimentaire, l’absence de « chauffage » alimentaire, combinée avec une thermogénèse déficiente, entraîne une certaine frilosité. Cette gêne disparaît lorsque la thermogenèse retrouve ses capacités normales. Une tout autre histoire commence alors, la résistance au froid s’accroît et lorsque tous transpirent à grosses gouttes, celui-là sourit en chérissant son climatiseur intérieur.