Dans une ferme familiale à Saint-Mars-d’Égrenne (Orne), les membres de l’association Vertoit ont eu l’idée de créer un habitat partagé pour senior. Rencontre avec Mathieu Chopin, le cofondateur de l’association et porteur de ce projet.
En 2050, une personne sur trois aura plus de 65 ans : le vieillissement de la population est donc un véritable enjeu pour les décennies à venir. Est-ce ce constat qui vous a conduit à imaginer un projet d’habitat partagé pour seniors ?
Oui, ce constat démographique est alarmant, mais c’est surtout le témoignage direct de la population locale concernée qui a renforcé mon imagination et mon optimisme pour creuser l’idée plus sérieusement. Dans le territoire rural de l’Orne, où 49 % des seniors normands se sentent abandonnés selon l’étude des Petits Frères des Pauvres d’octobre 2024, et où 76 % perçoivent une détérioration de leurs conditions de vie, l’isolement social est amplifié par un accès limité aux services comme les transports, les soins ou la culture.
Vertoit répond à ces défis en promouvant un bien-vieillir adapté à travers un habitat inclusif, inspiré de la loi Élan de 2018, qui permet de mutualiser les ressources et de renforcer l’inclusion. Imaginé collectivement avec les habitants locaux, cet habitat partagé et accompagné ouvrira cet hiver, autour de janvier 2026, pour offrir une nouvelle voie entre le maintien à domicile et l’Ehpad. Le collectif de Vertoit a rejoint le Réseau national de l’habitat partagé et accompagné (HAPA) pour construire ce projet et avoir une chance de le mener à terme.
Pourquoi ce nom, « Vertoit » ?
Le nom « Vertoit » est un jeu de mots riche en sens (vers le toit, vers toi, vert toit…) qui rappelle notre tendance à oublier que le vert, la nature, est la base de tout. Il évoque la ruralité du bocage normand, terre du poiré domfrontais (AOP) et du calvados. Le « toit », qui se dit aussi « toi », symbolise l’idée que tout est possible ensemble, en privilégiant le vivre-ensemble, l’écoute et la relation dans un écosystème ancré dans le territoire.
Vertoit symbolise aussi une solution écologique et s’appuie sur des matériaux durables et écoresponsables comme le chanvre pour rénover la maison. Ce nom incarne ainsi une vision durable et inclusive, en lien avec les valeurs du projet.
À quoi va ressembler cet habitat ? Combien de personnes pourront y vivre ?
Il s’agira de trois studios privatifs de 30 m² (adaptés aux personnes à mobilité réduite), avec chacun une chambre, une salle de bains, des toilettes, une kitchenette et une pièce de vie. Des espaces partagés intérieurs et extérieurs compléteront l’ensemble, comme un jardin adapté en trou de serrure, un verger et des locaux communs pour favoriser les interactions et inviter librement des personnes.
Trois à six personnes pourront y vivre, selon si elles sont seules ou en couple. Situé à La Bonelière, dans la commune de Saint-Mars-d’Égrenne (intercommunalité d’Andaine-Passais, 12 837 habitants), cet habitat intègre un écosystème plus large avec un camping paysan pour la mixité sociale et intergénérationnelle.
Comment sont envisagés les soins au quotidien ?
Nous parlons plutôt d’accompagnement, d’entraide et de lien social que de soins médicaux purs, car nous ne relevons pas du médico-social. Une équipe de bénévoles, comme pour nos autres activités, s’occupe d’accompagner les habitants dans l’évolution de leur projet de vie sociale et partagée. Nous prévoyons de créer un poste salarié en 2026 pour coordonner tout cela avec nos actions culturelles, nos ateliers de transmission de savoir-faire et l’accueil en camping.
Justement, vous mettez un point d’honneur à créer du lien social et à faire vivre la culture en milieu rural. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En effet, le lieu a un fort potentiel et le territoire présente des besoins criants en animation culturelle et sociale. C’est pourquoi le collectif de Vertoit, avec ses 39 adhérents – dont 18 bénévoles actifs et deux services civiques via InSite France – a naturellement développé plusieurs activités : environ cinq événements culturels par an (concerts, théâtre d’improvisation, danse, performance de mâts chinois, conte musical/clownesque), des ateliers de transmission de savoir-faire (filage de laine, couture, jardinage, conserverie, tricot…), et un accueil en camping paysan (environ 800 nuitées par an). Ces initiatives, gratuites et ouvertes au public, favorisent la réappropriation des récits ruraux, la transmission intergénérationnelle et l’inclusion. Vertoit a la volonté d’étendre ces activités en hiver, en partenariat avec des associations locales pour des événements communs renforçant les liens locaux.

Soucieuse de l’environnement, l’association a privilégié l’utilisation de matériaux écoresponsables et des savoir-faire traditionnels pour la rénovation de la ferme en habitat partagé.
Est-ce que le logement restera financièrement accessible pour des seniors aux revenus modestes ?
Depuis le départ, l’objectif est de proposer des loyers inférieurs à 500 € (hors charges), avec des frais de fonctionnement réduits grâce à l’amélioration énergétique de la maison et à l’utilisation de matériaux durables et écoresponsables (isolation en chaux, chanvre…).
Ce modèle économique solide, reposant sur l’autofinancement, est en grande partie soutenu par des subventions principalement privées (Fondation des Petits Frères des Pauvres, Agirc-Arrco, MSA, FDVA Orne, AMI Bien Vieillir…), ce qui garantit son accessibilité.
Aujourd’hui, à part le maintien à domicile et l’Ehpad, les solutions pour les personnes âgées restent limitées. L’habitat partagé pour seniors est-il la seule option ? Plus largement, qu’est-ce que votre projet dit de cette volonté de vieillir autrement et en collectivité ?
L’habitat partagé n’est pas la seule option, mais c’est une solution plus large et adaptable. Chaque habitat doit être adapté à son territoire, c’est aussi simple que ça. Si nous partons d’un diagnostic territorial et que nous demandons aux personnes ce qu’elles souhaitent, nous répondrons aux besoins et ça fonctionnera. Par exemple, une colocation ne fonctionnerait pas ici, ou difficilement : la demande locale était pour un habitat regroupé avec peu de logements, des espaces privatifs (surface des studios débattue collectivement) et partagés, sans « maîtresse de maison ». Les gens demandent à rester à la campagne, là où ils ont toujours vécu, attachés à leur environnement.
Le projet Vertoit illustre cette volonté de vieillir autrement en collectivité : il permet aux seniors et personnes handicapées de rester où ils le souhaitent, avec bienveillance, accompagnement pour bien vieillir, en privilégiant le lien social, l’accès aux services et une mixité intergénérationnelle. Premier HAPA (Habitat partagé et accompagné) de ce type en Normandie, il transforme l’isolement en vitalité partagée, inspire d’autres territoires ruraux et promeut un modèle réplicable, durable et inclusif.
Instagram : @vertoit
















